Argumentaire associé au communiqué de presse N° 2 – Janvier 2015 (pour le télécharger en pdf)
Au troisième alinéa du communiqué de presse, nous disons :
Mais, plus inquiétant encore, le développement des modes de production d’électricité renouvelable décentralisée – seule ressource indigène permettant d’atteindre à terme l’indépendance énergétique entièrement renouvelable du pays – est très fortement attaqué …
Parmi les objections formulées à l’encontre d’un futur énergétique entièrement renouvelable, on entend souvent dire : … jamais, les énergies renouvelables ne suffiront à satisfaire nos besoins futurs (… on trouve toujours du pétrole … depuis 1950, on en a toujours eu pour 50 ans …, etc., etc.).
Le but du présent argumentaire est de montrer, par une analyse documentée, que c’est parfaitement possible si, en même temps, on divise par deux la consommation globale du pays.
Remarque : on utilise ici le terme d’énergie finale. C’est l’énergie considérée au stade final de sa chaîne de transformation, c’est-à-dire au stade de son utilisation par le consommateur final (à la prise électrique, à la pompe à carburants, etc.). L’énergie finale est la seule qui est chiffrée avec précision parce qu’elle est comptabilisée. À l’exception de l’énergie auto-produite comme le solaire thermique ou celle de la combustion du bois non commercialisé. Ces consommations sont toutefois évaluées dans les statistiques fédérales.
Notons que, dans sa stratégie énergétique 2050, le Conseil fédéral admet l’objectif d’une réduction d’environ 50 % de la consommation globale (page 35, paragraphe 2.3.1 – Objectifs) :
La consommation moyenne finale d’énergie par personne et par an doit diminuer de 54 % d’ici 2050, par rapport à l’an 2000 (année de référence). Cela correspond à une consommation finale d’énergie estimée à près de 125 TWh (451 PJ) en 2050.
En 2013, la consommation globale finale d’énergie a atteint 249 TWh. En fixant l’objectif de la consommation finale d’énergie à 125 TWh par an en 2050, le Conseil fédéral admet bien cette division par deux. La discussion porte donc uniquement sur la capacité ou non de produire 124 TWh (ou 125 !) d’énergie renouvelable en 2050.
En 2011, le comité romand de l’AEE (Agence pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique) avait analysé le potentiel réalisable (techniquement, économiquement, écologiquement, socialement, etc.) des divers modes de production des énergies renouvelables à l’horizon 2050.
Cette analyse n’a évidemment pas la présomption d’être exhaustive et définitive. Notons toutefois qu’elle est largement diffusée depuis plusieurs années, y compris à l’OFEN, et qu’elle n’a pas, jusque-là, rencontré d’objections majeures.
Le graphique ci-dessous illustre ce potentiel global futur.
Ces évaluations sont prudentes, notamment pour les modes de production qui présentent encore des incertitudes géotechniques (géothermie) ou environnementales (éoliennes).
D’autre part, des technologies vont évoluer et conduire à de meilleures performances, donc à davantage d’énergie produite. Toutefois, en l’état actuel des connaissances, on peut considérer les valeurs indiquées ci-dessous comme une évaluation crédible et constituent en tous cas une bonne base de discussion.
La grande Hydro, la petite, l’éolien et le solaire photovoltaïque sont les quatre modes qui produisent directement de l’électricité ou de l’énergie mécanique facilement transformable en électricité. L’énergie-bois, la combustion des déchets, le solaire thermique, la biomasse, la chaleur ambiante (pompes à chaleur) produisent seulement de la chaleur. La cogénération permet de transformer une partie de cette chaleur en énergie électrique, mais c’est au prix de rendements très bas (2ème principe de la thermodynamique). Il importe donc de mettre le plus possible en valeur le potentiel des modes de production précités qui produisent directement de l’électricité. Dans cette perspective, il n’y a pas de production trop petite (négligeable).
Nous résumons ci-après l’analyse qui a permis de déterminer l’accroissement possible des potentiels de ces divers modes de production d’énergie renouvelable.
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Grande hydroélectricité > 10 MW :
Production actuelle en moyenne pluriannuelle ≈ 36’200 GWh. On estime, selon plusieurs sources convergentes, qu’une augmentation nette de 3’000 GWh/an est possible à terme.
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Amélioration des rendements énergétiques des anciens aménagements. Gain sur la production : 1’200 GWh (≈ 3,6 %).
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Dimensionnement des anciennes installations au fil de l’eau sur les grands fleuves pour des débits nominaux plus grands. Le gain atteindrait au moins 2’200 GWh (≈ 6,0 %).
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Nouveaux aménagements à réaliser. Il y a encore quelques nouveaux sites importants à exploiter en Suisse. Production supplémentaire : 2’400 GWh (≈ 6,6 %).
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À ces accroissements de la production hydroélectrique, il faut retrancher l’augmentation des débits résiduels imposés par la loi sur la protection des eaux, soit environ 2’800 GWh.
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Petite hydroélectricité < 10 MW (PCH)
Si on arrête de mettre les bâtons dans les roues au développement dans ce domaine, l’augmentation de sa production depuis 2015 serait de 2’600 GWh/an, pour un potentiel global et final de 5’900 à 6’100 GWh (potentiel évalué par le Programme Énergie 2000).
Pour le domaine de l’hydroélectricité, on obtiendrait donc une production future totale de :
EHydro = 36’200+1’200+2’200+2’400-2’800+2’600 = 41’800 [GWh/an]
À cette production, il faut retrancher les pertes de distribution, soit ≈ 6,5 %.
EHydro = 41’800×1-0,065) = 39’100 [GWh/an]
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Éolien
Suisse Éole évalue le potentiel 2050 à 5’000 GWh/an, soit 1’150 produits par des parcs éoliens et 2’450 par des installations isolées.
On admet que cette production décentralisée n’utilise que partiellement les réseaux de distribution électrique. On peut donc réduire les pertes de transport à 2 % (estimation).
Donc, Eéolien = 5’000 x 0,98 = 4’900 [GWh/an]
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Solaire photovoltaïque et thermique
La surface totale des toitures en Suisse est d’environ 1’600 km2. Des études sur des région-test ont montré que seulement 10 % de de cette surface pouvaient être utilisés pour y installer des panneaux solaires, soit 160 km2 (surface nette des capteurs).
Cette superficie est à partager entre les panneaux thermiques et les capteurs photovoltaïques. Ce rapport a été beaucoup discuté. On a finalement admis que la moitié (80 km2) est dédiée aux panneaux photovoltaïques.
Sachant qu’un m2 de ces panneaux produit en moyenne 120 kWh/m2/an ou 120 GWh/km2/an, on obtient :
Ephoto = 80 x 120 = 9’600 [GWh/an]
Cette production décentralisée est consommée localement.
L’autre moitié (80 km2) est occupée par les panneaux solaires thermiques. Sachant qu’un m2 produit environ 300 kWh/m2/an ou 300 GWh/km2/an. On obtient :
Etherm = 80 x 300 = 24’000 [GWh/an]
Cette chaleur est consommée sur les lieux de production.
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Énergie-bois
Energie-bois Suisse indique que la croissance annuelle de la forêt suisse est de 9 à 10 millions de m3 et que la part qui peut être consacrée à l’énergie est de 7,5 millions de m3.
Comme l’énergie produite par la combustion d’un m3 de bois produit en moyenne 2’000 kWh (chaleur), la production annuelle du bois suisse est de :
Ebois = 7’500’000 x 2’000 = 15’000’000’000 [kWh/an]
Ou Ebois = 15’000’000’000 x 10-6 = 15’000 [GWh/an]
À cette production, il faut retrancher l’énergie nécessaire à sa transformation, soit environ 6,0 %.
Donc Ebois = 15’000 x 0,94 = 14’100 [GWh/an]
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Déchets / Chaleur à distance
Les usines d’incinération produisent actuellement 2’850 GWh d’électricité. Si la chaleur correspondante était correctement utilisée (chauffage à distance), cette production serait au moins trois fois celle de l’électricité, soit 8’550 GWh. Le potentiel actuel global serait donc :
Edéchets = 8’850+2’850 = 11’400 [GWh/an]
Il y a lieu toutefois d’être prudent sur le potentiel final de la production issue de ce domaine et, par conséquent, de réduire la production actuelle. En effet, une meilleure gestion des déchets (effet très important de la taxe « au sac ») devrait plus que compenser la production de nouvelles installations. Il faut, en outre, retrancher à cette production les pertes de la distribution électrique, du transfert de la chaleur et du transport des déchets. Finalement, le potentiel final a été évalué à 4’800 GWh/an de chaleur et à 1’800 GWh/an d’électricité.
Donc Edéchet = 4’800+1’800 = 6’600 [GWh/an]
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Biomasse, hors bois
Les études des milieux concernés indiquent des valeurs suivantes :
Électricité = 2’600 [GWh/an]
Chaleur = 5’300 [GWh/an]
Carburant = 470’000’000 [lit/an]
ou Carburant = 470’000’000 x 9,23 kWh/litre x 10-6 = 4’300 [GWh/an]
soit EBiomasse = 2’600+5’300+4’300 = 12’200 [GWh/an]
On considère que la production électrique est consommée localement, mais que la chaleur est distribuée et que le carburant consomme de l’énergie pour sa transformation. Finalement :
EBiomasse = 2’600+5’300x0,8+4’300x0,94 = 10’800 [GWh/an]
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Chaleur ambiante (pompes à chaleur – PAC)
On considère que 200’000 PAC pourraient être installées en 2050 (90’000 étaient en fonction en 2010). Une PAC de 20 kW (valeur admise pour la Suisse) produit 40’000 kWh de chaleur par an. Les 2/3 de cette chaleur, soit environ 26’000 kWh, sont prélevés à l’environnement. La production renouvelable de 200’000 PAC sera donc :
EPAC = 26’000 x 200’000 x 10-6 = 5’200 [GWh/an]
Notons que l’énergie électrique nécessaire au fonctionnement de ces 200’000 PAC est environ le 1/3 de l’énergie-chaleur produite, soit ≈ 2’600 GWh/an.
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Géothermie profonde
La géothermie profonde est certainement, à la fois, le potentiel d’énergie le plus important et le plus incertain, aussi bien en production électrique que thermique. Le potentiel théorique est immense. En effet, 99 % de la masse de la terre est à une température supérieure à 1’000°C. Différentes sources faisaient état d’un potentiel très élevé en Suisse, mais c’était avant l’accident de Bâle et des quelques secousses sismiques à Saint-Gall. On annonçait des potentiels électriques de 15’000 GWh et thermiques de 40’000 GWh, soit environ 55’000 GWh/an.
Depuis quelque temps, des résultats de recherche sont néanmoins encourageants. Neuf installations de géothermie profonde sont en fonction, mais aucune, pour le moment, ne produit de l’électricité. Trois projets sont en cours de réalisation et 23 sont planifiés. L’OFEN a dernièrement estimé à 4’400 GWh/an, la production électrique possible en 2050.
Cependant, compte tenu des incertitudes encore bien présentes en Suisse sur les potentialités de la géothermie profonde, une production globale nette, très prudente, a été admise, dans le cadre mesuré de cette analyse, à 9’700 GWh/an.
EGéothermie = 9’700 [GWh/an]
dont environ 2’000 GWh d’électricité et 7’700 de chaleur.
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Récapitulatif